Encore une journée dure, fourbe et jalouse, qui fait partie de celle qui hante le Shinigami. Une horrible, une sanglante, une implacable journée. Le travail à profusion s'était révélé être dur et épuisant. Contraint de roidir son image, Jûn n'aimait pas les missions comme celle-ci. Toutefois, la vie des Shinigamis était ainsi faite, partagée entre la violence et le sang, figée dans ce monde où la mort est omniprésente. Jûn avait massacré une bande de truands du 59° district du Rukongai. Ceux-là l'avait entièrement mérité mais faire couler le sang de sa propre lame, Jûn trouvait cela répugnant. Il n'avait alors qu'une pensée, qu'une conviction, qu'une certitude : oublier. Cet état d'esprit exhaussé dans sa tête à en oblitérer les autres le torturait. Alors qu'il apparut dans les ruelles, une rumeur d'armes et de voix se fit entendre. Le choix, dès lors, il ne l'avait plus. D'un masque froid et rigide, il avait tranché la racaille sans émotion. C'était préférable.

Dans le bar où il se trouvait, les figures hâves se décomposaient sous les effets de l'alcool. Malgré les verres, Jûn ne subissait pas ces effets. Il continuait d'observer les alentours et les habitués, étiques, qui se nourrissaient du nectar alcoolisé. Leur maigreur était due à cette obsession pour la boisson. Il n'avait plus que ce geste, constant, de lever le verre pour porter le liquide à leurs lèvres. Les doigts oblongs plaqués sur le comptoir, ils en redemandaient. Tels des animaux de foire, ils hurlaient pour éteindre l'incendie de leurs estomacs. La voix raclée, le visage d'un mort réveillé par l'appel divin, et le langage d'un gosse de 5 ans à peine. Les jurons fusaient comme la nourriture à l'heure de pointe et lentement, l'ambiance devint galvanique. Certains portaient haut et fort leur opinion tandis que d'autres tel l'impie, n'osaient se mouiller.

N'ayant pas maîtrisé la portée de sa voix, les mots qui en émanaient avaient résonné dans la pièce. Curieusement, les buveurs avaient relevé la tête et fixaient les deux hommes. Ahuris, ils ne parlaient plus et on voyait dans leurs grands yeux vitreux, les questions naître comme dans ceux d'un enfant qui découvre la lune dans le ciel nocturne. Désormais, la totalité de la populace avait remarqué leur présence. Désespéré, Jûn lâcha un soupir et baissa les yeux. N'y avait-il donc aucun moyen d'être tranquille pour déguster son verre de fin de journée ?

Il y a dans la vie des petits plaisirs qu'il faut savoir apprécier à leur juste valeur. Savourer doucement une coupelle ou deux de saké en est un. Cette perspective fut la première à traverser la tête de Seika. Si dans la huitième division, l'habitude voulait qu'ils se retrouvent tous autour d'un verre, le shinigami avait cette fois-ci préféré se retrouver avec sa seule solitude pour compagnie, dans un calme intérieur certain. Partant promptement dès la fin de son service, il partit en direction du rukongai, cette terre où il avait vécu si longtemps. Il avait tant de souvenirs de ce lieu, bons comme mauvais. C'est ce qu'il y a de difficile avec ceux-là, il faut savoir trier ces vieux films et garder le meilleur pour les instants simples.

Marchant, le long de petites ruelles, Seika balayait du regard les établissements à alcool qu'il croisait. Il cherchait une ambiance comme il en avait connu par le passé avec les éternels rebuts, jurons et autres bagarres. S'il voulait déguster son eau-de-vie tranquillement, il cherchait aussi à ne pas s'ennuyer. Finalement un bar répondant aux critères se dévoila à lui. Déjà il entendait les cris des clients agonisant sous l'alcool. Ces images tirèrent un sourire au shinigami. Cette endroit lui semblait parfait. D'un pas toujours aussi paisible, il passa le seuil de l'établissement. La scène qui se dévoilait à ses yeux était conforme à ce à quoi il s'attendait.

Toutefois, une chose le surprit. Quelque chose qui sortaient du tableau offert par tous ces réservoirs à gnôle. Non loin de lui se tenait un homme à l'uniforme du seireitei. Rare étaient les shinigamis qui venaient en ces lieux parmi les plus bruyants. La stupéfaction laissa rapidement place à la curiosité. Seika se dirigea vers le comptoir humidifié par des verres trop pleins pour les loques qui y étaient adossés. Sans lâcher du regard l'autre shinigami, il se servit une coupelle et une fiole de saké plutôt imposante pour son nom.

Oubliant son désir de pseudo-solitude, Seika choisit de s'assoir à la table de cet inconnu. Bien qu'il pensait susciter une quelconque réaction en s'installant là, l'inconnu resta impassible et n'offrit même un regard. Cet homme semblait étrangement perdu dans ses pensées et arborait un air nostalgique voire presque attristé. Nul doute qu'il ne fallait le déranger, il se rendrait bien compte de la présence d'un collègue shinigami.

Seika porta la coupelle à ses lèvres après l'avoir remplie. Il en sirota le contenu quelque peu bruyamment. Le shinigami en profita pour détailler son voisin du regard. Les premiers détails qui le frappèrent furent cette longue chevelure au teint si particulier et ces yeux azurés. Assurément il attirait le regard. Derrière les deux hommes, un brouhaha s'amplifiait doucement, montrant la tension qui montait. Deux hommes commençaient à se battre. Du moins semblaient, leur état ne permettait pas de faire de grand efforts physiques. Ils faisaient plus de dégâts aux consommassions des autres clients qu'à eux-même. Mais l'incident fut vite réglé par l'arrivée de deux colosses et l'éjection des fauteurs de troubles.

Le calme gagna rapidement l'endroit. Apparemment les personnes les plus bruyantes frôlaient à présent la limite qui les prévenait de l'inconscience. Une fois le raffut terminé, le voisin de Seika sembla émerger du flot de ses pensées. Tout en portant une nouvelle fois le précieux liquide à ses lèvres, il remarqua que l'autre shinigami réalisait de sa présence.

L'éclat de sa voix surprit plus ou moins la totalité des personnes présentes. Les cadavres qui reposaient sur le comptoir semblaient momentanément reprendre vie pour se tourner vers la source de ce qui les avait tiré de leur léthargie. Rapidement l'autre shinigami lâcha un soupir et semblait déplorer la réaction des clients.

Seika lâcha un petit rire amusé. Son voisin semblait lui aussi avoir chercher un peu de quiétude. Pourtant tout deux se trouvaient à présent la cible de regards sans-gêne. Posant sa coupe, le shinigami de la huitième se présenta.

Le shinigami venait de prononcer les derniers mots d'une voie plus forte en se retournant vers les spectateurs. Cela était une tentative comme une autre de les inviter à se retourner. Comme honteux, un bon nombre de personnes reprirent leurs activités. Il restait tout de même quelques irréductibles mais leur regard pesaient soudainement moins lourd.

Les regards étant à présent concentrés sur la table des deux Shinigamis, Jûn se sentait mal à l'aise. L'intérêt que les clients leur avaient brusquement porté le destabilisait. La léthargie dans laquelle il était plongé quelques instants auparavant avait troublé son esprit. En quête de secours pour ne pas s'abîmer de nouveau dans le passé, il avait engagé une conversation pour demeurer dans le présent. A première vue, la situation amusait l'interlocuteur de Jûn. Etait-ce réellement cela où les circonstances de leur position vis à vis des loques humaines ressucitées sous les paroles du jeune homme.

Il était vrai que ce bar n'était pas le meilleur endroit pour trouver la paix mais Jûn n'avait pas pu s'empêcher de s'y glisser. Comme un instinct, un désir enfoui au plus profond de lui qui guidait ses choix s'en qu'il n'en sache rien. Les ivrognes d'à côté n'avait de cesse d'examiner les deux confrères dans les moindres plis de leurs vêtements. Et, la situation devint bien vite exaspérante. Ces importuns n'avait-il rien d'autre pour s'occuper. Jusqu'ici, ils buvaient sans se soucier d'eux alors pourquoi ne continuait-il donc pas à s'enfoncer dans la torpeur de l'alcool.

Répondre relevait de la plus simple des politesses et Jûn ne mit pas grand temps pour y fournir une réponse. Le respect étant un de ses principes, il ne tenait pas à passer pour un semblable de ses autres qui ne détournaient par leurs yeux grands ouverts.

Une réponse courte et explicite, Jûn s'en tenait à cela. Mais bientôt, la conversation fût interrompue. En effet, un homme avait pénétré dans le bar, un homme d'environ cinquante ans, de moyenne taille; ridé, voûté, grisonnant; à membres trapus; avec un regard louche dans des yeux gris, un rire amer sur le visage; sale, en guenilles, repoussant à voir. A son apparition, le silence se fit. Il murmura quelque chose à l'oreille d'une de ces masses informes transformées par l'alcool. Tour à tour, ils se répétaient les quelques mots à peine audible. L'homme se tourna vers Jûn, ils se sont regardés quelques secondes fixement, l'homme et lui; lui, prolongeant son rire qui ressemblait à un râle; Jûn, demi-étonné, demi-effrayé.

Toute cette mascarade ne sentait pas très bon et Jûn l'avait remarqué. Qu'avait-il voulu dire par "il arrive" ? De qui parlait-il ? La populace du bar les fixait de nouveau et il ne savait pourquoi, Jûn avait deviné qu'il ne serait pas aussi simple de les faire se retourner. Ils brandissaient leur verre comme on brandit un étendard. Tous les hommes présents dans la pièce avait adopté le même rire sournois que le nouvel arrivant. Comme un virus qui contamine l'humain, comme s'il avait transmis son rire en même temps que ses mots. Les deux shinigamis se méfiaient à présent. Quel sale tour pouvait-il préparer ? Ils scrutaient les hommes du Seireitei avec une envie qu'on ne voit seulement dans les yeux de Léviathan. On pouvait y lire un appétit grandissant, une satisfaction qui grisait leur corps tout entier. Cependant, la réflexion de Jûn eut trouvé sa réponse à l'entrée de l'homme suivant. Il s'agissait d'un homme bien plus grand que le précédent. Gras, la face rouge, les yeux trahissant une colère hors du commun, il était sûrement une menace pour les deux hommes. Ses cheveux clairsemés sur son crâne, faisait défaut à son front proéminant. D'un pas menaçant, il s'approchait muni d'une hache de la taille de Jûn. Le pire était sans doute que derrière lui, une trentaine d'hommes attendaient. La porte les vomit et tous ensemble, ils encerclèrent les deux compaires.

Déconcertés par le calme que gardaient les Shinigamis, les assaillants n'allaient pas tarder à passer à l'action. Jûn et Seika seraient contraints de participer au carnage.